Merveille

13 octobre 2017

Photos: Benoit Guenot

Text: Palmyre d'Anthenaïse

Merveille, O merveille !

Ça caille !

Paris est recouverte de neige. C’est beau. Je reprends le bon de livraison et me frotte les mains pour leur donner un peu de chaleur. J’espère déclencher un grand brasier, un feu de la Saint Jean, un tendre réchauffement climatique. À la place de cette douceur tant méritée, un bip sur le téléphone pour m’indiquer la prochaine course.
Des clubs sandwich à livrer au Petit Palais dans l’heure. Je suis à Bastille, cette course sera la dernière de la soirée, avant de retrouver le studio, les amis et de sortir s’enivrer naturellement. J’ai ma tenue de super héros, mon sweat S.A.I.N.S, je suis paré pour toute les cuvées.
J’enfourche mon vélo, je réceptionne la marchandise et m’engage dans la rue Saint Antoine pour une traversée d’Est en Ouest de la Capitale. Arrivé vivant à la bonne adresse, ce qui n’est pas un mince exploit, je livre mon paquet qui fera sûrement la joie de petites mains mortes de faim. Je m’apprête à repartir quand je vois un homme en veste à carreaux et pantalon en velours, assez rare par ici pour que je le remarque, hurler dans son téléphone avant de monter dans une grosse berline. La voiture démarre à toute allure et je remarque que l’homme a fait tomber son portefeuille en montant. Trop tard pour le rattraper. Curieuse situation, je regarde qui était cet indien dans la ville. Le nom ne me dit rien mais je trouve en bonne place devant les diverses cartes, un badge et une carte d’invitation pour un « Palais des Grands Crus » ce soir ici même. J’ai du livrer des repas pour les hôtesses. Si j’osais j’irais voir, juste un peu, 10 minutes, une heure, pour goûter. Mes livraisons sont finies, je ne suis pas trop mal habillé, en bas en tout cas, les amis m’attendront, je ne resterai pas tard. Je repose mon vélo et me dirige à nouveau vers la porte de service. Cette fois avec le badge sur le coeur. Prétextant une cigarette fumée dehors, l’homme à l’entrée ne se fie qu’au carton d’invitation et me laisse monter. Par chance l’arrière du vestiaire est juste là, j’emprunte une veste, en velours, c’est surement le thème, et me dirige vers la grande salle du Petit Palais.

La lumière est aveuglante, irréelle, j’entre dans un monde déconnecté, une parenthèse de cristal et de platine dans un Paris des jours de fête. C’est Noël ! Je suis dans « Maman j’ai raté l’avion« , mes parents m’ont abandonné, je me suis perdu dans ce magasin de jouets, j’ai trouvé le ticket d’or et je vais rencontrer Willy Wonka ! J’attrape un verre et la balade peut commencer. Dégustation classique, je repère les noms, je connais, je connais pas, on est curieux ou pas. Premier stand, je jette un oeil: Clos des Goisses 1996 de Philipponnat. Wow! « Je peux goûter M’sieur ?  »
Sur la même table, un double magnum de Vieux Château Certan 1999 nous fait de l’oeil. Je résiste un peu, le blanc m’ appelle, je reviendrai plus tard me faire ce petit Pomerol. J’aurais peut-être du m’arrêter là. J’aurais du comprendre le piège qui m’attendait. Ce qui allait m’ arriver une fois rentré, un fois ces quatre étages montés, et me retrouver seul sur le palier, devant ma porte.

 

 

Le traumatisme post dégustation, le spleen, la dépression. Toucher à la perfection rien qu’une heure, une soirée, une nuit. Goûter les étoiles et reprendre le cours de ma vie. Je n’aurais pas du continuer.
Je ne me souviens pas de tout mais j’ai déambulé comme un gosse, les yeux écarquillés, goûtant tout sur mon passage: Haut Brion 95 en Impérial, Mouton Rothschild 90 en Jéroboam, Ausone 90, Clos des Corvés 2001 Prieuré Roch, Palmer 1975, Angelus 1970…
Tout ces vins en open bar, le rêve ! Je remarque une table avec un peu plus de monde, tiens tiens tiens, quelle bouteille réunit ce petit monde ? Je m’approche, bouscule tout le monde, pour apercevoir deux gros formats avec des étiquettes bien connues: La DRC, le domaine de la Romanée Conti. Moi qui ai longtemps fantasmé sur la rencontre possible avec un vin de ce domaine. Me voilà en face à face. Ça sera un 6l de Romanée Saint Vivant 1988 pour commencer puis un 6l de La Tache 1991. Folie.
Je reste un long moment à regarder mon verre, à faire tourner le vin, à faire des petits allers-retours olfactifs. La couleur est impressionnante, trouble, un jus de raisin. Presque du vin nature. Mais chut c’est pas le bon endroit pour parler de ça.
La rencontre est brève, moment fort mais décevant, il m’en faudrait un peu plus pour me faire une idée, une demie bouteille m’irait très bien. On vient de me voler mon rêve. Tristesse profonde. Après avoir erré de bouteille en bouteille, je décide de suivre un groupe qui se dirige vers un grand escalier donnant sur le niveau inférieur par lequel nous sortons du Petit Palais. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Le flux des invités se dirige maintenant vers le Pavillon Ledoyen et son chef mythique, Yannick Alleno. Le badge que je porte me donne accès au salon Offenbach, je prends. Je reste un moment assis, sagement, goûtant les vins que l’on me sert, écoutant les vignerons raconter l’histoire de leur domaine, le déroulement du millésime, la particularité du sol. Mais je commence à ne plus tenir en place. Je m’éclipse et visite un peu les lieux, les différents salons, la cuisine. C’est un tableau, une brigade, des tocs blanches immaculées s’affairent à goûter, couper, dresser les assiettes du chef 3 étoiles. Je me fais gentiment expulser de la cuisine et suis le balais des maitres d’hôtels et serveurs qui dans une chorégraphie millimétrées servent chaque table et chaque invités. J’erres encore un long moment en goûtant tous les vins mis à disposition, Yquem 2005, Harlan Estate 1990, Egon Muller Auslese 2006.

Il est temps pour moi de partir, de quitter, en paix, ce palais des Milles et une nuits. Un dernier regard sur le Pavillon Ledoyen, je reprends mon vélo, glacé, des étoiles plein les yeux et des arômes plein la bouche. Finalement le spleen ne vient pas.

On verra demain.

 

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