Domaine de Belliviere
19 juillet 2017
Photos: Benoit Guenot
Text: Thibault Allache
Biodynamie, Chenin et pull en laine.
Bellivière
À deux heures de voiture de l’enfer Parisien, on débarque à L’Homme, un no bobo’s land au cœur de la Sarthe, où se trouve le domaine en biodynamie de Bellivière, tenu par Éric Nicolas, sa femme Christine et leur fils Clément.
Christine nous accueille chez elle tout sourire : ça sent le feu de bois dans le salon -un poêle énorme dévore buches sur buches des pieds de vigne secs – et le magret de canard dans la cuisine. Elle règle deux trois affaires avant de nous emmener en balade. Au téléphone on l’entend dire que l’Arpège se régale avec la cuvée Rouge Gorge 2013, voilà on a déjà soif.
On part en voiture rejoindre Éric et sa team de vignerons, on navigue sur les petites routes de terres défoncées, de parcelles en parcelles, laissant derrière nous une partie du pare-chocs et zyeutant les bonnets et capuches qui s’activent dans les vignes. Les 80 parcelles du domaine sont réparties sur 5 communes différentes : les Nicolas renoncent à la facilité en regroupant les vignes, ils se font un peu chier à cultiver à droite à gauche dans la Sarthe mais au final, ça paye vraiment !
Trouvé ! Un grand bonhomme en rouge avance vers nous au milieu des vignes de la tuffière (parcelle qui tient son nom de sa terre riche en tuffeau). Éric nous serre la pince, comme Christine, grand smile en travers du visage. Ses paluches rêches, dures, abimées par le travail du sol, font passer nos mains pour des mimines de bébés. On commence à se balader au milieu des pieds de vignes, nus à cette saison (mi- janvier).
On distingue clairement les parcelles en biodynamie de Bellivière, de celles d’autres domaines ; ici c’est vert, touffu, ronceux parfois, ça grouille, la nature reprend ses droits sur le sol, biodiversité en veux-tu en voilà !
« Des espèces qu’on trouve dans les jardins, tu les retrouves aussi à l’état naturel.
Suivant la saison on a des géraniums sauvages ou de la vesce, des plantes qui indiquent une bonne richesse du sol. Il y a de la carotte, c’est plutôt intéressant : elles créent des cavités et aèrent le sol.
Toutes ces espèces sont de très bons indicateurs de l’état de la terre, il faut tout observer , même son odeur »
On écoute Éric et on a le sentiment que le moindre brin d’herbe est là pour nous dire quelque chose. On a presque envie de mettre son nez dans la terre pour humer ce qu’elle a à nous dire. « Ça tu vois c’est de la crotte de cerf ». L’envie s’est envolée.
À cette époque le travail consiste essentiellement à couper les sarments de vignes. Ça permet de limiter l’expansion de la plante, de gérer la production de raisins et de réduire les risques de gelées. Pour cette étape, Eric oublie les méthodes tradi orientées pognon et préfère un entretien minutieux, très attentif à la bonne circulation de la sève. C’est ultra important pour préserver la vigne. Là où certains vont passer 30 secondes sur un pied, d’autres resteront 15 ou 20 minutes à chouchouter leur plante. Ces maniaques de la vigne sont un peu comme les grands-mères qui parlent à leurs fougères. Il faut savoir que la vigne est une plante fragile, ultra réceptive à tout son environnement : au sol, au climat, aux insectes, à Pokémon Go, aux cons qui mettent des glaçons dans le rosé… Tout ! La plante va stocker toutes ces infos et c’est ce qui va créer son identité et celle du raisin. Quand on coupe la vigne, on modifie cette identité, donc on modifie indirectement le vin. C’est pour ça qu’il ne faut pas y aller comme un bourrin sans réfléchir.
Aujourd’hui, il fait un froid sibérien et un vent glacial nous bouffe les doigts. Donc deux trois photos et on se dépêche de refourrer nos mains au fond de nos poches et nos culs dans la voiture. Sur le trajet du retour, Éric continue d’élargir nos connaissances lacunaires en biodynamie :
« On prend en considération les cycles lunaires et solaires dans le travail de la vigne : il y a des jours racine, fruit et fleur. Les jours racine c’est les jours où l’activité astrale favorise le travail de la racine, de la plante et de nos vins les plus tradi : on enracine, griffe, soutire un vin qu’on élève longtemps. Pour nous c’est les cuvées Vieilles Vignes Eparses et Calligramme. Les jours fruit on va plutôt attacher les branches qui portent les fruits, récolter. Et les jours fleur, on met en bouteille les vins primeurs, sur le fruit avec des côtés floraux, comme notre rosé ou Prémices. »
De retour à la maison, on retrouve Clément, fils prodige qui a renforcé la vibe biologico- dynamique du domaine et Christine aux fourneaux après toute une journée à gérer ce génial business familial.
On perd pas de temps, on suit Eric et Clément derrière la maison jusque dans leur cave troglodyte, creusée directement dans la falaise. À la lumière d’une loupiote on choisit les flacons dans cet immense stock un peu bordélique. On ramène des bouteilles dans tous les sens : embouchonnées, encapsulées, des propres, des sales, des inconnues sans étiquettes…
On était passé dans ces grottes lors de notre dernière visite quelques mois plus tôt pour la mise en bouteille. Tout était fait de manière artisanale ; comme avec les niveaux des bouteilles réglés grâce à un long fil tendu d’un bout à l’autre de la pièce. On avait passé le week-end à observer l’incroyable duo père fils, complémentaire, compatible, calme en toutes circonstances : qu’il fasse un temps de merde, que des chevreuils bouffent les vignes, ou qu’une éclipse vienne foutre en l’air le calendrier lunaire… Les deux sont impressionnants de zénitude.
Revenons à table. Les assiettes sont prêtes et Christine est aussi bonne cuistot que businesswoman : cake noix/lardons ; velouté de courge, crème de parmesan avec graines de courge torréfiées ; et dément magret de canard rôti au four. On termine le repas sur un très exhaustif plateau de fromages et un Meursault Meix Chavaux 96 du Comte Armand qu’on a ramené. Parce que comme disent tous vos potes « qui s’y connaissent un peu » en pinard : le vin c’est surtout le partage.
Entre deux coups de fourchette et deux gorgées on parle de tout et de rien mais surtout de vin ; les dernières trouvailles, les bons contacts, les mauvaises expériences. Puis la discussion part en aventures de chasse, en discours évangéliques sur la biodynamie. Au domaine de Bellivière, les Nicolas essayent d’échapper aux modèles en place ; d’acquérir une nouvelle lecture du vin et d’aller vers des modes de culture qui favorisent la biodiversité, avec un amour sincère de la nature comme point de départ.
« Ça nous fait bouger, rencontrer des gens. Je prétends pas tout savoir : j’aime demander l’avis de collègues à droite à gauche. Les bourguignons vont me conseiller sur la vinification du pineau d’Aunis ou les amis du sud vont me donner des tips en cas de millésimes un peu chauds »
La soirée continue : Calligramme 2010, Les Rosiers 2009, L’Effraie 2014… presque la totalité du domaine passe dans nos verres en version maîtrisée ou nature (sans sulfites). En comparant on se rend compte de la puissance aromatique des vins non maîtrisés, natures, on réalise à quel point le soufre inhibe le vin et on se demande pourquoi on ne boit pas ça tous les jours. Enfin ce qu’il y a de beau avec les vins sans sulfites, c’est que le lendemain on aura – presque – pas de gueule de bois…
Repus, saouls, on quitte la table, endoctrinés et convaincus par le discours d’Éric : plus c’est naturel, plus c’est bon. Dès demain on rentre à Paris prêcher la bonne parole.
Si du coup vous avez envie de tremper les lèvres dans les vins d’Éric Nicolas, allez faire un tour à L’Arpège à Paris ou (plus abordable) au Baratin vers Belleville. Et pour ceux qui rêveraient de voir à quoi ressemble le domaine, on vous en met plein les yeux sans que vous ayez à bouger le cul de votre chaise.